lundi 21 juin 2010

Nuit sauvage

Encore un texte, parce que j'ai plus trop de dessins en ce moment. Bonne lecture.

Nous étions là, sept drôles, sept pirates balafrés qui achetions en bouteilles, de quoi passer des heures extraordinaires.
 

Ç’allait être notre nuit sauvage.
 

Qu’est-ce qu’on avait comme allure avec nos défroques fatiguées!


En tête de notre bande de copains, marchait l’athlète, le mangeur de ciel, un géant rigolard avec qui j’étais allé maintes fois jouer au basket sur des terrains défoncés. 


Juste derrière lui, bavardaient deux gars, dont un que je connaissais mal, un râblé aux yeux troubles; à la trogne de boxeur triste, de buveur fidèle et de tendre enfant perdu de la ville.

Son voisin, un grand fauve ahuri, traînait sa démence bouleversante dans des habits tout semblables à une improvisation de jazz; le jean bas sur les fesses, le manteau dépareillé, la casquette blonde de joueur de saxo au dessus de ses lunettes folles, avec des traînés de barbe sale en dessous, et des couleurs partout, tout ça comme un grand cri de blues, un collage; un trémolo de Bechet avec les rires de Parker en fond. 


Une fille était avec nous, une brune argentine, pimpante, le soleil accroché à la peau, sous la pluie ; telle une amoureuse étoile perdue parmi les météorites fracassées. Et son homme, le grand, le céleste enfant au sourire candide, élégant lunaire dans sa veste étriquée de poète sans attaches. 

Et d’autres. 

Un gamin blond au regard transparent marchait auprès des grands. Goguenard et pensif, maigre sous son t-shirt noir, il menait fort sa voix indéfini, en roulant sa clope et nous autres avec.

Moi j’étais le taiseux, l’ange tourmenté. Mince, mal rasé, mal dans sa peau, planqué sous une casquette de baseball ; et fatigué, encore.

Tous ensembles, on s’emmena sur les quais, sous un pont noir de suie, crachotant et suiffeux, urinant les brunes pensées de la ville jusque dans le fleuve gris. 

On s’installa vaille que vaille à l’abri de la pluie, et voilà que tout d’un coup, les bouteilles sortirent des sacs et nous nous mîmes à boire, là, en grappes, et des types de partout, toute sorte de copains se mirent à arriver, se joignirent à nous, avec dans leurs mains, d’autres bouteilles qui apparaissaient comme par magie. 

Ça commençait à bien chauffer sous les crânes et ça venait toujours et de toutes parts. 

Un anarchiste énervé fit tourner sa bouteille d’absinthe. J’avalai des gorgées délirantes et partout autour de moi, et moi avec, on souffla de ces songes décousus vers les ombres de la ville, sans plus rien comprendre, et on se chauffa encore ; on rugissait. Le jazzman dingue nous haranguait, bondissait autour du juif amusé, le juif fou et fringant, sobre encore, qui nous regardait, nous tous à nos délires sans noms.

Un copain, un gosse tragique et sombre, un talent maudit se mit à chavirer et on le rattrapait, et on le redressait ; bon sang. On se l’envoyait, et alors il se balança de droite à gauche, ravagé, se rattrapant à des filles magnifiques, se raccrochant à nos bras ; mais alors, nous n’étions pas tellement mieux que lui.


J’allai pisser dans un square. La bruine continuait à dégringoler, huilant le bitume noir, reflétant les phares et les têtes blanches des réverbères dans la chaussée détrempée. Le ballet des autos allait son cours. Et la presqu’île, de l’autre côté, au bout de ses longs bras sombres, déployait sa majesté provinciale, et plus loin encore, des maisons couraient jusqu’au sommet de la colline. C’était bon, ces minutes contemplatives, bien à soi, bien réelles.

Je redescendis sur les quais, là où les orphelins insouciants exsudaient toujours leurs idées prodigieuses. 

Et je replongeai sans retenue au coeur des oublieuses, des nuits sauvages.


Yannick Darbellay

mardi 15 juin 2010

Variation

Après mon texte sur Kerouac, une variation sur le même thème (mais sans Jack).

"Ce soir, je m'émerveille de solitude;
Oh mon rhum oublieux, embrasse-moi.
Le goulot salive, puis me laisse goûter à ses baisers dégueulasses.
Que c'est bon, ces lampées d'espérance qui me glisse dans la gorge.
Les oiseaux effarés s'envolent dans mon ventre,
Me tintinnabulent aux oreilles; virgules vermeilles.
Y a même un môme qui chiale dans mon crâne, craignant les nuées affolées.
Une fanfare se met à dézinguer tout ce qu'elle peut.
Ziiiiing! Le mec aux cymbales envoie des ziiiing tatziiiim et des vriiing à travers mes pensées,
Et ça tempête, et ça déchire, bon sang, que j'aime ça!
Les oiseaux chialent leurs plumes un peu partout;
Mais que c'est drôle cette pluie là, voyez comme c'est beau!
Je m'allonge au milieu des larmes d'or,
Les yeux ouverts, rivés sur le bleu sang des cieux.
Qu'y a-t-il, là-haut, qui m'écrase?
Qu'est-ce qu'elle a fait pour prendre tant de place?"

Yannick Darbellay

Les gerçures

Comme il fait chaud, j'ai écrit un texte sur le froid; normal.

"Comme si la lèpre bouffait mes doigts, c'est drôle. Il faudrait que je sois le seul, pas possible autrement. ça n'existe plus ici.
Ils tombent, les doigts, pareils aux sentences; ça effraie quand bien même on savait que ça devait arriver. Et surtout, c'est irréversible.
Un chien errant, jaune paille, sentant la pisse et la faim, un de ces compagnons d'infortune qu'on plaint autant qu'on craint, se repaît de mes chairs perdues, mes chairs disparues. Je me lèche les doigts comme il se lèche le cul, avec amour, pour apaiser les brûlures.
Il rigolerait bien, le cabot, s'il existait, mais ça n'est pas vrai, ce n'est que le froid qui me gerce les doigts. Dommage. La lèpre a de la gueule, elle est un peu canaille, un rien vieille France et ça plaît.
S'il en était ainsi, je dresserais mon poing glabre vers le ciel qui n'y serait pour rien et qui s'en foutrait. Des larmes noires me ruisselleraient le long des bras jusqu'aux aisselles, se mélangeant à la sueur et aux poils. Et si l'ironie s'y mettait, elle me laisserait le majeur un peu plus longtemps que les autres doigts, le temps d'injurier le monde en silence, sans même y penser.
Alors je marcherais droit, entraînant à ma suite le bâtard jaune aux côtes saillantes, à l'oeil torve, et noir, et rouge, qui me dégusterait morceau par morceau.
Enfin, à l'heure où l'on me mènerait à mon trou, dans un corbillard délirant, le chien galeux fermerait la marche; et me pleurerait sincèrement, lui.
Mais ça n'est que le froid. "
Yannick Darbellay

Kerouac


"Et Dean précipita la Plymouth en plein sur le camion qui venait sur nous en rugissant, zigzagua et hésita un moment en face de lui, tandis que le visage du chauffeur de camion verdissait sous nos yeux, que les gens du siège arrière s'affalaient en poussant des cris d'horreur, et l'évita d'un coup de volant au dernier instants."
Jack Kerouac

Dean et Sal, Kerouac


"Il lorgnait par dessus mon épaule pendant que j'écrivais, et gueulait:
-Mais oui! Parfaitement! Génial mon pote!"
Jack Kerouac

Kerouac, le basket et le jazz...


"C'était comme si le fou, le ténor nègre frénétique de jazz des bas-fonds américains avait essayé de jouer au basket contre Stan Getz et Cool Charlie."
par Jack Kerouac

jeudi 10 juin 2010

Sur la route


"Dean était exactement en face de lui, le visage penché sur la cloche du saxo, battant des mains, inondant de sueur les touches du gars, et le gars le remarqua et rigola dans son saxo un long rire frissonant et fou..."
par Jack Kerouac

lundi 7 juin 2010

Profil


Illustration au lavis. Il a mal au crâne, mais bon, il est content quand même.

Jack Kerouac

avant de publier une série d'illustrations inspirées de "sur la route", voici un texte que j'ai écrit en forme d'intro.

Jack embrasse des bouteilles.
Jack s'ensoleille d'alcool, et regarde des dingues,
des oiseaux ivres se marrer aux étoiles.
Jack roule, file, s'enfile des kilomètres;
terrasse ses semelles sur des lignes de béton.
Jack s'injecte de l' Amérique dans les veines, puis,
quand le silence coule, il picole,
écoute du jazz cool, et attrape au vol
des instants solaires qu'il restitue
sur ses rouleaux de liberté.
Il attrape des filles qu'il couche sur des pages somptueuses.
Jack joue de la machine à écrire
comme Bird joue du bop;
libre, juste libre.